Changer les comportements en santé : quels enjeux ?

Cahier expert

16 janvier 2024

Les modifications de comportements visant à préserver ou améliorer la santé se heurtent souvent à des freins au changement, qu’ils soient cognitifs, psychologiques ou sociaux. Renforcer les intentions et favoriser le passage à l’action requiert d’intervenir sur de multiples facteurs d’influence, tant individuels que collectifs. Les sciences comportementales participent à cet égard à identifier les leviers les plus pertinents pour mobiliser chaque public ciblé.

 

Les vœux de nouvel an mettent en exergue un sujet central dans la vie des français : la (bonne) santé. Une préoccupation légitime, qui passe généralement par l’adoption de comportements participant à mieux prévenir les risques et maintenir, voire améliorer, l’état de santé. Problème récurrent : « Il existe un fossé entre la volonté de changer ses comportements et le passage à l’acte. Un objet d’étude privilégié des sciences dites « comportementales »*, qui ont décrypté divers mécanismes limitant l’efficacité des approches individuelles et collectives en prévention et promotion de la santé », explique Nicolas Fieulaine, chercheur en psychologie sociale à l’Université Lyon 2.

 

Mauvais réflexes et raccourcis cognitifs

Principaux freins au changement : les réflexes et raccourcis cognitifs, qui interfèrent, consciemment ou non, sur le choix des conduites. « Nous avons une tendance naturelle à privilégier les conséquences à court terme plutôt que celles à long terme, qui demandent de se projeter dans l’avenir : c’est la préférence pour le présent. Nous tendons également à nous en remettre à « l’option par défaut », c’est-à-dire le choix le plus évident ou le plus facile au moment de notre décision », explique l’expert. Tout l’enjeu consiste donc à passer de ce système intuitif, rapide et automatique de décision, à un système plus réflexif et faisant davantage appel aux connaissances qu’aux habitudes. Une transition qui repose sur une clé de voûte psychique : l’intention.

 

L’intention prime

Modifier un comportement demande au préalable de forger une intention solide et durable. Trois paramètres concourent à cette finalité : « d’une part, l’image faite du nouveau comportement et des bénéfices ou plaisirs liés à sa mise en œuvre – arrêter de fumer pour moins tousser, par exemple. En second lieu, interviennent les normes sociales : l’image de ce qu’il est bien vu de faire, en particulier dans son groupe d’appartenance – éviter d’exposer son entourage au tabagisme passif. Enfin, le contrôle comportemental correspond à la capacité, objective ou perçue, que nous avons de réaliser le nouveau comportement – se sentir capable de résister à la tentation de la cigarette », précise Nicolas Fieulaine. Différents leviers peuvent à cet égard être activés en vue de faciliter le renforcement des intentions et leur concrétisation.

 

Facteurs d’influence et nudges

Facteurs intrapersonnels, interpersonnels, institutionnels, de la communauté et politiques publiques. Ces 5 grands piliers participent, chacun à son échelle, à construire et moduler les intentions de changement. Autant de niveaux d’intervention pour encourager les changements de comportement en santé, via notamment un travail sur les environnements de perception et de décision. Des incitations discrètes et non culpabilisantes, orientées par les sciences comportementales et appelées « nudges » (« coup de coude/pouce » en anglais). Quelques exemples ? « Concernant l’activité physique, un escalier peint de mots d’encouragement à côté d’un escalator motive l’usager et crée une expérience positive qui favorise la répétition du comportement. Versant alimentation, la réorganisation de la disposition des produits dans les cafétérias peut réduire la consommation de gras, de sucre ou de viande en rendant les options favorables à la santé plus faciles et évidentes à choisir. »

 

Cibler juste, cibler bien

L’incitation collective reste cependant complexe à instaurer, car elle ne doit pas se vouloir universelle pour être pleinement efficiente. Identifier avec précision les leviers et les freins à l’adoption de meilleurs comportements est fondamental pour s’adapter aux inégalités sociales de santé. « Dans les situations de précarité, où le rapport au futur est questionné voire rendu impossible par l’insécurité sociale vécue, la diffusion de messages consistant à mettre en avant les bénéfices futurs de comportements coûteux dans l’immédiat peut s’avérer contre-productif ou conduire à un rejet », confirme Nicolas Fieulaine. Les sciences comportementales permettent dans ce contexte d’apporter des réponses efficientes, en décryptant les dispositions psychologiques, cognitives et sociales des publics ciblés afin de déployer des actions spécifiquement adaptées.

 

*Les sciences comportementales ont pour objet d’étudier, sur la base de données factuelles, la manière dont les individus se comportent, prennent des décisions et agissent face aux programmes, aux politiques et aux mesures d’incitation qui leur sont proposés.

 

Source : Les sciences comportementales pour la promotion et la prévention en santé : principes, actualités et enjeux, par Nicolas Fieulaine